Il fut un temps ou la pêche du brochet me passionnait à tel point que j’en rêvais, les nuits précédents ma quête. Mais pour attraper un brochet, on a beau être un passionné, ce n’est pas une sinécure, il faut être patient, minutieux, attentif à la météo, à l’emplacement, bref si vous en prenez un, vous êtes un homme heureux.
A l’époque, mes parents habitaient au-dessus du crédit agricole de Selles sur cher.
J’étais étudiant à l’Institut Control Data dans le XIII ème à Paris, et n’ayant pas encore de pied à terre officiel sur Paris, ni suffisamment d’amis parisiens, je rentrais toutes les semaines à Selles Sur cher pour me ressourcer, et un peu pour faire laver mon linge.
Selles sur cher était une ville très agréable, à vivre, petite ville de province d’environ 5000 habitants, avec son château, et surtout ses cours d’eau : Le cher, la Sauldre, le canal du Berry, le fouzon.
Pour un amateur de pêche comme moi, c’était le bonheur.
Je rentrais donc un vendredi soir par le train, en fin de printemps, pour bénéficier de longues journées ensoleillées, permettant de pratiquer la pêche jusqu’à fort tard et surtout jusqu’au coucher du soleil.
Sitôt arrivé à Selles (vers 19h), j’enfilai ma tenue de pêcheur et mes bottes et partais pour ramener le plus gros brochet au monde.
Toujours le même rituel, je prends la voiture, je vais à la Sauldre ou je pêche suffisamment de poissons blancs pour disposer de vifs et traquer le brochet.
Les deux pieds dans l’eau, je reste une demi-heure et ramène une trentaine de goujons, ablettes, gardons que je conserve vivant dans un seau avec un bulleur.
Et là, direction la deuxième écluse du canal.
Je gare ma voiture, à proximité et installe mon matériel de pêche : 3 grandes cannes à brochet, toujours prêtes à servir, et simples à installer.
Il est 20h30. Je sors mon siège mobile, et reste en contemplation devant mes bouchons qui gigotent au même rythme que les vifs que j’ai installés au bout de l’hameçon double (pour les carnassiers).
Quel plaisir de voir ses bouchons osciller sur l’eau, vous donnant toujours l’impression que le vif s’est fait avaler par un carnassier.
Tout à coup, un des bouchons s’enfonce entièrement.
Je reste sur le qui-vive guettant la prise miraculeuse.
Mon grand-père m’expliquait que lorsqu’un brochet mord un vif, on a toujours le temps de rouler, allumer et fumer une cigarette avant qu’il ne l’engame complètement.
J’ai toujours appliqué cette règle qui m’a plutôt bien réussie.
Me voilà donc, allumant une cigarette (à l’époque je fumais), dans l’attente de cette prise mirobolante.
Trois minutes passent, j’éteins ma cigarette. Un deuxième bouchon s’enfonce alors entièrement sous l’eau.
Quelle surprise, deux touches en même temps.
Le fil de la première canne se met alors à se tendre, montrant que le brochet a complètement engamé sa proie et décidé d’aller la manger ailleurs. Je me précipite, prends la canne en main, et ferre le poisson. C’est une belle bête que je sens au bout de l’hameçon mais pas un monstre. Je mouline progressivement, et ramène un brochet de taille légale, d’environ 1,5 kg. Je pose la canne avec cette belle prise, sur l’accotement du canal et m’aperçois que le fil de la deuxième canne se tend également.
Je me précipite à nouveau, ferre, sent une forte traction, et ramène un deuxième brochet de plus belle taille d’environ deux kilos.
woouaouh quelle pêche miraculeuse……..
J’ai ramené mes deux prises à la maison, devant mes parents ébahis qui avaient invité des amis allemands : Frantz et Elizabeth qui m’ont pris en photo, que j’espère retrouver un jour pour vous prouver que je ne raconte pas des bêtises.
L’histoire pourrait s’arrêter là.
Mais, ce que vous ne savez pas, c’est que la pêche aurait pu être encore plus miraculeuse, car alors que j’avais ramené mes deux brochets sur le bord du canal et que je tentais de les décrocher, le bouchon de la troisième canne s’est lui aussi enfoncé.
Occupé à décrocher les deux brochets, je n’ai pu que m’apercevoir, un peu tard que la canne était prête à tomber à l’eau. En me précipitant, j’ai eu le temps de sentir une forte secousse au bout, vraisemblablement un très gros poisson, mais qui s’est décroché, et je n’ai ramené qu’un fil sans hameçon……cassé par la force du brochet malgré un fil en acier !!!
Stupéfaction et déception !
La joie de rentrer à la maison avec deux brochets a quand même estompé ma déception. Mais pendant quelques nuits, dans mes rêves, je pêchais le plus gros brochet au monde.
